Dans les cinq prochaines années, les technologies d’intelligence artificielle vont bousculer en profondeur les outils et les organisations achats des entreprises. Contraintes de s’aligner sur une nouvelle feuille de route, les équipes vont devoir acquérir de nouvelles compétences et adapter leurs pratiques.
L’intelligence artificielle, et en particulier les IA génératives (IAGen) et les grands modèles de langage (LLM), n’est plus une promesse abstraite pour les directions achats, devenue l’un des principaux moteurs de leur transformation. Selon deux études récentes menées par McKinsey (1) et The Hackett Group (2), elle bouleversera d’ici cinq ans les pratiques, les outils et les compétences des acheteurs. De la réduction des coûts à l’optimisation des décisions, en passant par une refonte complète des systèmes d’information, cette technologie s’impose comme un levier stratégique incontournable.
Première révolution : l’automatisation. La majorité des tâches administratives et répétitives (saisie des commandes, traitement des factures, rédaction de contrats, etc.) seront confiées à des assistants IA ou « copilotes numériques », intégrés aux plateformes d’e-procurement. Ces outils fonctionnent en langage naturel et peuvent, en quelques secondes, générer des documents ou déclencher des processus. Des gains immédiats sont observés : d’autres études prédisent une réduction de 10 % des coûts opérationnels et une accélération de 30 % dans la sélection de fournisseurs. Dans l’industrie, l’automatisation du traitement des factures a divisé par deux les délais et réduit les erreurs de 80 %.
Mais l’IA va bien au-delà de la productivité. Elle offre une capacité d’analyse et de décision sans précédent. Grâce aux grands modèles de langage, il est désormais possible d’exploiter en temps réel des masses de données internes et externes pour construire des stratégies achats en quelques heures, contre plusieurs semaines auparavant. En sourcing, des recherches automatisées permettent d’identifier trois fois plus de fournisseurs pertinents à l’échelle mondiale. Dans un contexte d’inflation et de risques géopolitiques, cette vélocité devient un atout critique.
L’expérience collaborateur et fournisseur est également transformée. Des chatbots intelligents assistent les opérationnels, fluidifient les demandes internes, ou répondent aux questions des partenaires 24h/24. Des assistants de négociation simulent des entretiens, formulent des arguments adaptés au profil du fournisseur, ou personnalisent automatiquement des documents. L’acheteur gagne en réactivité, en précision, et en capacité à gérer un écosystème de partenaires plus vaste.
Cette mutation impose une refonte des compétences. Le métier d’acheteur glisse vers l’analyse stratégique, la gestion du risque et la maîtrise des outils numériques. Savoir dialoguer avec un modèle IA, formuler les bons « prompts », interpréter les analyses ou superviser des agents autonomes devient indispensable. Parallèlement, de nouveaux rôles émergent (analystes IA, gestionnaires de chatbots, data specialists, etc.) souvent réunis au sein de centres d’excellence. Selon le Hackett Group, 69 % des entreprises prévoient de créer ou expérimenter ce type d’organisation dédiée dès 2025.
Côté systèmes d’information, les éditeurs comme SAP, Coupa ou Ivalua intègrent déjà des fonctionnalités IA dans leurs suites. Le premier vise par exemple l’automatisation de 80 % des transactions courantes via son copilote Joule d’ici fin 2024. Ces évolutions nécessitent une refonte des architectures SI : plateformes cloud unifiées, circulation fluide des données entre ERP, solutions achats et outils de pilotage, connecteurs vers les bases externes, sécurité renforcée. Les silos informatiques doivent disparaître pour laisser place à des systèmes interconnectés, alimentant une IA performante et fiable.
Enfin, les pressions économiques et réglementaires renforcent l’urgence du changement. Inflation, ruptures d’approvisionnement, exigences RSE : autant de défis que l’IA peut aider à relever. Dans une autre étude, Gartner estime que les organisations ayant adopté l’IA dans les achats gagneront 20 % d’économies supplémentaires par rapport aux approches traditionnelles. Et les investissements suivent : dès 2025, plus de 20 % des directeur achats prévoient de consacrer plus d’un million de dollars par an à l’IA, doublant les montants de 2024.
Mais attention, préviennent les analystes : l’intelligence artificielle ne remplace pas l’acheteur, elle le transforme. Elle lui permet de se recentrer sur les décisions à forte valeur, tout en s’appuyant sur des copilotes numériques pour gérer la complexité. Encore faut-il accompagner cette révolution : former les équipes, redéfinir les rôles, moderniser les systèmes, et instaurer une gouvernance claire. Car plus que jamais, la performance achats reposera sur l’alliance de l’intelligence artificielle… et de l’intelligence humaine.
Synthèse de l’article « Cap 2030 pour les directions achats : une feuille de route pour exploiter pleinement l’IA » de Bertrand Gabriel, publié le 22 avril 2025 sur LinkedIn
(1) « Making the leap with generative AI in procurement », McKinsey.
(2) « Embracing the Future: How GenAI Is Revolutionizing Procurement in 2025 », The Hackett Group